NOUVELLES

LE TESTAMENT

   Frédéric, Jacques et Marc étaient réunis aujourd’hui dans le bureau du notaire pour la lecture du testament de leur père, Charles de Varrel, décédé une semaine plus tôt à la suite d’un accident de voiture.
   Les trois frères ne semblaient pas très affligés ; leur principale préoccupation résidait dans le contenu du testament. Tous trois paraissaient en compétition et leurs relations restaient très limitées. Chacun menait sa vie sans se soucier de celle des autres. Ils n’avaient qu’une seule chose en commun : leur nom. Ainsi, leur présence dans le bureau du notaire n’était qu’une formalité. Charles de Varrel possédait une fortune considérable et ses fils pensaient empocher ce pactole sans le moindre effort.
   Le notaire ouvrit l’enveloppe et en sortit une feuille qu’il déplia avec soin sous les yeux attentifs des trois frères. Cet instant parut durer une éternité pour les héritiers. Puis le notaire commença la lecture d’un ton neutre.

“Mes chers fils,

Comme vous le savez déjà, je possède une immense fortune. Depuis votre plus jeune âge, je vous ai appris à rester humbles et malgré tous mes efforts, vous n’avez pas suivi mes conseils. Vos réussites professionnelles n’ont pas contribué à vous épanouir, à mon plus grand regret. Vous en vouliez toujours plus. Mais dans la vie, il faut mériter ce que l’on veut acquérir. Les liens familiaux étaient primordiaux pour moi et je désirais que nous soyons tous très unis, dans la richesse ou dans l’adversité. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui. Il serait beaucoup trop facile pour vous de profiter de mon argent sans effort. Il faudra le mériter. Ainsi, cette lettre, que vous croyez être un testament, n’en est pas un. L’original est caché dans le château où j’ai vécu avant de rendre l’âme. Votre mission consistera donc à le retrouver et je vous laisse trois jours pour agir. Passé ce délai, je léguerai la totalité de mes biens à des œuvres caritatives dont mon notaire possède la liste détaillée. Le premier qui trouvera le testament héritera de tout. Lui seul décidera de ce qu’il veut bien donner aux deux autres. Vous connaissant, je sais que ce sera une lutte acharnée. Mais vous ne m’avez pas laissé le choix. N’oubliez pas, dès que la lecture de cette lettre sera terminée, le compte à rebours aura commencé. Vous aurez soixante-douze heures, pas une minute de plus, pour mettre la main sur le testament. Frédéric, Jacques et Marc, je vous souhaite bonne chance ! Et que le meilleur gagne !”

   La lecture terminée, les réactions ne se firent pas attendre.
“Comment a-t-il pu nous faire ça ? cria Frédéric en se levant brusquement de son siège.
    Le notaire semblait approuver la décision de Charles de Varrel.
   Atterrés par la nouvelle, Jacques et Marc, restèrent cloués à leur chaise, les mains crispées sur leurs genoux, pendant que Frédéric poursuivait son petit numéro. Lorsqu’il n’obtenait pas satisfaction, il avait pris l’habitude d’injurier tout le monde. Comme il commençait à dépasser les bornes, le notaire lui somma de sortir de la pièce. Telles étaient les dernières volontés de son père et il devait s’y tenir. Jacques et Marc prirent Frédéric chacun par un bras et sortirent du bureau en grommelant.
   Dix minutes s’étaient écoulées depuis la lecture du faux testament. Le notaire, très choqué par le comportement des trois frères, comprit aisément pourquoi Charles de Varrel avait pris une telle décision.
   Les trois frères ne se consultèrent même pas sur la marche à suivre pour trouver le testament. Chacun pour-soi, comme dans la vie. Une lutte acharnée allait alors commencer...

   Le château de Charles de Varrel se situait à une centaine de kilomètres de là. Chacun prit son propre véhicule pour s’y rendre. Frédéric était certain d’arriver le premier au château, au volant de son coupé sport flambant neuf qu’il venait d’acquérir. Ses frères roulaient dans d’imposantes et luxueuses berlines tout aussi rapides. Mais Frédéric croyait toujours être le meilleur.
   Sur la route, la prudence n’était pas de mise, c’était à celui qui arriverait le premier.
   15 h 30. Le vent s’était levé et d’énormes nuages gris se formaient dans le ciel. Il faisait très lourd. À mi-chemin, Frédéric dut s’arrêter à une station-service pour faire le plein, ce qui le mit hors de lui. Son comportement hystérique surprit le vendeur. Habituellement très sociable avec ses clients, il n’osa pas engager la conversation de peur de l’énerver davantage. Mais il changea d’avis lorsque le jeune homme lui paya le triple de ce qu’il devait... Ce dernier reprit la route sous les yeux bienveillants du pompiste qui palpait les billets avec satisfaction.
   Jacques, quant à lui, avait pris de l’avance sur ses frères. Il connaissait un raccourci qui lui permit de gagner quinze minutes. Mais comme il se trouvait sur une route de campagne, il dut s’arrêter pour laisser passer un troupeau de moutons qui lui barrait la route. Si bien que l’avance prise ne lui servit à rien.
   Pour l’instant, Marc roulait tranquillement. Plus serein et plus calme que ses deux frères, il était aussi réfléchi. Comme dit le proverbe : rien ne sert de courir, il faut partir à point.
   L’orage éclata. Des éclairs déchirèrent le ciel et de grosses gouttes s’écrasèrent sur le pare-brise. De fortes bourrasques secouèrent les arbres comme des pantins. La pluie fit place à la grêle et Marc se gara sur le bas côté. Malgré son intention d’arriver au plus vite au château, il préféra laisser passer le mauvais temps. Cela semblait plus prudent.
   Frédéric continuait de rouler à vive allure. Une pluie torrentielle s’abattait sur la route. Il perdit le contrôle de son véhicule et se retrouva dans le fossé. Un peu secoué, mais indemne, il essaya de démarrer la voiture dont la carrosserie était fortement endommagée, en vain. De la vapeur s’échappait du moteur, sans doute le radiateur… Heureusement, il gardait toujours son portable sur lui et appela un garagiste.
   Marc, qui passait par là, aperçut le coupé sport de son frère dans le fossé. Frédéric, assis sur le capot de la voiture, attendait impatiemment la dépanneuse. Marc s’arrêta et descendit du véhicule afin de savoir s’il allait bien. Frédéric répondit qu’il ne voulait pas de son aide et lui ordonna de quitter les lieux. Il s’exécuta sans la moindre hésitation.
  Jacques constata avec satisfaction qu’aucun véhicule ne stationnait devant le château. Il monta rapidement les quelques marches menant à la porte d’entrée et l’ouvrit à l’aide d’une grosse clé en fer forgé. À l’intérieur, une forte odeur d’humidité lui agressa les narines. Les volets, tous clos, ne laissaient pas filtrer de lumière. Jacques s’empressa de les ouvrir afin d’éclairer les lieux. Il ne supportait pas d’être dans l’obscurité. Ses investigations débutèrent dans le salon. Il vida tous les tiroirs et examina attentivement leur contenu. Sa recherche fut infructueuse. À tout hasard, il souleva le tapis d’Orient près du sofa. Il découvrit une feuille pliée en quatre. Les mots suivants avaient été rédigés :
“Tu manques d’imagination, mon fils, cherche mieux...”
   À cet instant, Jacques comprit que la tâche serait rude. Charles de Varrel débordait d’imagination et considérait cette recherche comme un jeu. De son vivant, il exaspérait déjà tout le monde avec ses devinettes. Mais là, il dépassait les bornes. Il fallait toujours se creuser la tête pour trouver la solution.
   Jacques décrocha ensuite tous les cadres, mais rien ne se cachait derrière. Après avoir fouillé le salon de fond en comble, il se dirigea vers la bibliothèque. Cette pièce contenait plus de mille livres, classés de façon méthodique. La patience n’était pas sa principale qualité, mais il prit son courage à deux mains et continua à chercher.
   Marc reconnut la voiture de Jacques et se gara juste à côté. Il descendit de son véhicule prestement et pénétra dans le château. Il aperçut son frère dans la bibliothèque, examinant les livres un à un. Vu le désordre dans le salon, il en conclut que Jacques était passé par là. Il commença donc ses recherches dans la cuisine. Le contenu des placards vidés, il passa la main sous les rayons. Sa découverte ne fut pas celle qu’il attendait. Une substance visqueuse collait à ses doigts. Il retira la main : de la confiture ! Il se dirigea vers l’évier et tourna le robinet, mais l’eau ne coula pas. Il ne lui restait plus qu’à trouver un chiffon. Après avoir ouvert tous les tiroirs, il découvrit un feuillet plié en quatre. Il s’essuya les mains dans la nappe blanche qui recouvrait la table avant de le lire.
   “Cela t’apprendra à fouiller dans les placards. Je trouve que tu manques cruellement d’imagination !”
   Marc, de nature plutôt calme, déchira le message avec rage. Ensuite, il regarda dans le poêle en émail. Il vida le tiroir à charbon et mit la main sur une lettre précisant :
   “Il faut se salir les mains pour mériter ce que l’on a. Tu marques un point. Je te donne une indication : le testament ne se trouve pas dans la cuisine.”
   Marc aurait pu apprécier cette note puisque son père lui donnait une précision. Mais cette situation l’énervait davantage. Il détestait son humour.
   Une centaine de livres jonchaient le sol. Jacques s’assit un instant au bureau. Un tiroir était entrouvert. Il jeta un coup d’oeil à l’intérieur et en sortit une feuille sur laquelle il lut :
   “C’est bien toi ! Regarde donc à l’intérieur du livre de contes, sur le premier rayon, tu y trouveras un indice.”
Jacques feuilleta le livre et découvrit une carte de visite à la page 34 :
   “Tout ce qui donne l’heure apporte de nouveaux indices.”
  Il fallait donc examiner toutes les horloges et les réveils se trouvant au château. Mais comment Charles de Varrel pouvait-il savoir qu’il chercherait dans la bibliothèque ? D'autant plus qu’il avait glissé le message à la page 34, l’âge de Jacques.
   17 h 00. Un véhicule s’immobilisa devant le château. Frédéric descendit d’une voiture ordinaire, prêtée par le garagiste qui l’avait dépanné. Son coupé sport était en réparation. En entrant, il constata que trois pièces avaient déjà été fouillées. Il monta donc à l’étage. Il aperçut Marc vidant le contenu des tiroirs du placard de la salle de bains. Des serviettes et des produits d’entretien recouvraient le sol.
   Chaque pièce principale contenait une horloge. Jacques monta lui aussi au premier étage, n’ayant rien trouvé au rez-de-chaussée. Il croisa Frédéric dans le couloir, mais ne lui adressa pas la parole.
20 h 00. Marc découvrit une feuille de papier enroulée autour d’un manche à balai dans la buanderie. Quelle idée saugrenue ! Le message était dactylographié :
   “Sous un carreau bleu, tu trouveras un indice.”
   Une seule pièce était pavée de cette couleur… la chambre de Charles de Varrel.
   Frédéric se trouvait à l’intérieur, il vidait l’armoire. Marc entra sans faire de bruit et se glissa derrière le rideau près de la fenêtre. Son frère, exaspéré, sortit de la pièce en grommelant. Apparemment, il n’avait rien trouvé. À l’aide d’un maillet, Marc tapota chaque carreau. Il déplaça l’armoire, puis le lit, mais ses efforts furent vains. Finalement, c’est sous la table de chevet qu’un carreau semblait bouger. Il le souleva et s’empressa de lire le message inscrit avec un feutre directement sur le sol :
   “Tu as fait de l’excellent travail. Je te félicite. J’adore le bon vin. Ma cave est remplie de bonnes bouteilles. Mais un plus grand trésor s’y cache. À toi de le trouver.”
   Marc replaça le carreau ainsi que la table de chevet. Personne ne devait découvrir cet indice. Satisfait, mais inquiet, il fallait descendre dans cet endroit humide et sombre qu’il détestait. Son père le savait. Il avait donc prévu que Marc s’y rendrait...
Pendant ce temps, Jacques trouva une fiche sous un réveil dans une chambre. Il était noté :
   “Lorsque tu verras de la lumière dans la cave, tu fermeras la porte à clé.”
   Jacques fut déçu. Le message ne contenait pas d’indications susceptibles de mener au testament. Il descendit les marches conduisant à la porte de la cave. Celle-ci, entrouverte, laissait passer un rai de lumière. La situation lui parut bizarre, mais il ferma tout de même la porte à clé. Un billet de banque vint alors se poser en virevoltant sur le sol. Quelques lignes étaient rédigées au feutre noir :
   “Tu remontes les marches et tu verrouilles l’autre porte. Personne ne devra plus jamais se rendre à la cave quoiqu’il arrive. Un autre indice est caché dans l’écorce du plus vieil arbre du parc. Si tu le trouves, tu auras gagné !”
   Jacques retrouva le sourire. Il prit une lampe de poche et sortit du château. La nuit commençait à tomber et la tâche devenait laborieuse.
   22 h 00. Frédéric avait fouillé toutes les chambres sans succès. Il fuma une cigarette pour se calmer et descendit à la cuisine pour grignoter. À son grand étonnement, le réfrigérateur était rempli de nourriture. Il se mit à table sans se poser de questions.
   Dans la cave, le système d’éclairage était pourvu d’une minuterie. La lampe s’éteignait toutes les dix minutes ce qui obligeait Marc à se déplacer dans le noir à chaque fois afin de retrouver l’interrupteur. Il fallut renouveler l’opération quatre fois avant de mettre la main sur une bouteille contenant un petit rouleau de papier. Il la brisa. Un liquide se répandit sur le sol, dégageant une odeur nauséabonde, puis se transforma en un gaz étouffant. Il déroula le feuillet tout en s’appliquant un mouchoir sur le nez. C’était le testament, rédigé de la main de Charles de Varrel. Tout lui revenait. Il courut jusqu’à la porte afin de sortir, mais celle-ci était verrouillée. La bouteille devait contenir un gaz très nocif, car Marc n’arrivait plus à respirer. Il essaya de crier, mais aucun son ne s’échappait de sa bouche. Un message s’inscrivit sur le mur :
   “Échouer si près du but...”
   La lumière s’éteignit. Marc s’écroula sur le sol. Il était mort.
   Frédéric dégustait une délicieuse mousse au chocolat, son dessert préféré. À peine l’eut-il terminée qu’il commença à avoir des nausées. Il se précipita aux toilettes, mais ses jambes se dérobèrent sous lui. Sa vue se troubla. Il s’écroula et fut pris de convulsions. Son corps s’immobilisa dans une horrible posture. Les yeux révulsés, sa bouche laissait échapper un liquide blanchâtre. Son dessert favori, empoisonné, avait causé sa mort en une poignée de secondes.
   Jacques errait dans le parc depuis plus d’une heure. Malgré un examen minutieux de l’écorce des arbres les plus imposants, il n’y avait aucune trace du testament. Il s’assit sur un banc près d’un parterre de fleurs, afin de faire une pause. La journée avait été longue et ennuyeuse. Mais il ne fallait pas abandonner maintenant. Il traversa la pelouse menant au château et s’entrava.  Machinalement, il éclaira cet endroit afin de constater quelle avait été la cause de sa chute. C’était la souche du plus gros chêne du parc. Il se releva et en fit le tour. Une carte de visite dépassait de l’écorce. Elle était tellement bien enfoncée qu’il faillit la déchirer. Il crut se sentir mal lorsqu’il lut :
   “Ceci était un jeu. Je vous ai tous bien eus. Aucun testament n’est caché dans ma propriété. Ta dernière mission est maintenant de rester en vie.”
   Jacques releva la tête, une silhouette se dessinait devant la porte du château. Après quelques hésitations, il pointa sa torche dans cette direction. C’était Charles de Varrel. Son visage était tuméfié et ses habits ruisselaient de sang. Il tenait une feuille dans sa main droite qui s’enflamma d’un seul coup. Jacques, complètement terrorisé, regagna sa voiture en un quart de seconde. Il démarra et s’engagea dans l’allée à une vitesse folle, décidé à quitter au plus vite cet endroit maudit. La grille du château se referma sur lui. La voiture s’y encastra. Une fuite d’essence provoqua une explosion assourdissante.
   Une semaine plus tard, Charles de Varrel était dans le bureau du notaire. Il hériterait de la totalité des biens de ses fils puisqu’ils n’avaient ni femmes ni enfants. Il remit une grosse enveloppe au notaire, comme convenu. Le plan qu’ils avaient mis sur pied avait très bien fonctionné. Toutes les preuves susceptibles d’éveiller des soupçons avaient disparu.
   Une nuit entière avait été nécessaire pour tout remettre en ordre au château. Charles de Varrel ne fut donc pas inquiété dans cette affaire. Il n’habitait plus dans la région depuis un an. Il vivait avec son amie dans une villa sur la Côte d’Azur.
   Les policiers retrouvèrent les empreintes de Jacques sur la porte de la cave. Il ne faisait aucun doute qu’il avait assassiné Marc et empoisonné Frédéric. Une enquête démontra avec certitude que les frères Varrel se détestaient. Jacques, ayant pris conscience des actes qu’il avait commis, s’était donné la mort.
   Tel est pris, qui croyait prendre. Charles de Varrel est aujourd’hui milliardaire.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire